jeudi 16 avril 2009

UN NOUVEAU METIER

Il n'est pas anodin de partir si loin et si longtemps, dans des condition si étranges. Les quatre mois et demi passés sur le cargo me semblent s'être déroulés dans un autre espace-temps que celui de la vraie vie. Je reviens comme si je n'étais pas parti, des signes directs ou indirects me disent cependant que ce n'est pas vrai. Direct comme la lecture des journaux : j'y découvre souvent les nouveaux épisodes de quelques histoires dont je n'ai pas connu le début. Indirects comme les saisons : mon esprit s'obstine à préparer l'hiver (penser à rentrer et ranger du bois...) tandis que les arbres jouent les printanniers.
Mais il n'y a dans tout cela ni nostalgie de cette échappée ni regret de l'avoir faite, tournons la page, ni plus ni moins.
D'autant plus que je suis embarqué maintenant dans une nouvelle aventure, celle de la librairie que s'apprête à ouvrir Nicole dans notre bonne ville d'Anduze. C'est plutôt sa bonne ville que la mienne, d'ailleurs, puisqu'elle est née native de Durfort, un village voisin où vécut son ascendance maternelle et où elle a passé une partie de son enfance (avoir été la baby-sitter de l'actuel maire, ça crée forcément des liens !). Pour ce qui me concerne, moi le parisien de racines bourguignonnes, je ne suis cévenol de pure souche que depuis deux ans, ce qui implique normalement une certaine dose de retenue, ou discrétion (voir les synonymes dans vos dictionnaires habituels, ils sont tous valables dans un pareil cas).
Or donc, la librairie qui va s'ouvrir incessamment sous peu requiert mes bons et loyaux services, et j'ai été promu au grade enviable d'homme à tout faire (appelé grouillot dans les métiers de l'imprimerie). Et comme j'ai pris goût à la rédaction d'un blog j'en commence un nouveau puisque celui-ci se termine.
Vous le trouverez à l'adresse suivante : http://lemaridelalibraire.blogspot.com/
Après tout pourquoi se priver, personne n'est obligé de le lire !

vendredi 20 mars 2009

POINT FINAL

Nous avons tourné à l'ouest de la Bretagne pour revenir dans cette Manche que nous avions quittée il y a un peu plus de quatre mois, il est temps de faire le point. C'est un peu comme la fin de l'année scolaire dans un pensionnat, on compte les jours qui restent, après avoir compté les semaines et avant de compter les heures. Mais en même temps on commence à regarder différemment ce qui nous entoure, chacun de ces éléments qui vont disparaitre de notre vie après y avoir tenu tant de place pour un long instant...
Avant de refermer ce blog, dont ce message sera le dernier, il me reste à remercier plusieurs personnes :
- En premier lieu Nicole, ma complice pendant cette longue absence, notamment pour avoir mis en forme et en ligne mes messages. Mon ami Edmond aussi, qui y a contribué.
- Les "gens du livre" qui m'ont offert ce voyage. Qu'ils sachent que j'ai pensé à elles et eux et à leurs beaux métiers chaque fois que j'ai pu voir, hélas trop rarement, une librairie ou une bibliothèque dans les lieux les plus improbables.
- Celles et ceux qui m'ont accompagné par leurs commentaires pertinents ou curieux, ou qui ont réussi à m'envoyer directement des mails. Même les rêves au long cours ont leurs temps d'égarement, et ce fut toujours bien venu de recevoir des billets amicaux sur l'air de "Allo la mer, ici la terre !".
La boucle est bouclée, le monde est bien rond et j'en ai fait le tour. Mais je n'en sais pas plus qu'avant, sinon que les mers sont immenses et que la terre est toujours belle.

Bon vent à vous...

mardi 17 mars 2009

COULEURS PRINTANNIERES

Il faut bien que je donne quelques nouvelles, sinon vous allez croire que notre vieux cargo perclus de rouille a coulé sans bruit quelque part dans une mer obscure, ou bien que nous sommes tous plongés dans une léthargie profonde en attendant l'arrivée... Eh bien, rien de tout cela !
D'abord le bateau n'est plus du tout rouillé, il est au contraire tout pimpant (bon, à condition que l'on ne regarde pas trop dans les coins). Les travaux des cadets, ainsi que du reste de l'équipage depuis qu'il n'y a plus d'escales, ont porté leurs fruits, toute la superstructure a été remise à neuf grâce à des flots de peinture verte, jaune ou blanche. Les passagers y ont aussi mis du leur en s'en collant partout. Malheureusement le white spirit ne fait pas partie de la dotation minimale de la marine marchande de Sa Gracieuse Majesté.
Côté paysages, depuis Suez, ce n'est pas terrible. Quelques profils montagneux se sont laissés voir du côté du Maghreb que nous avons longé à petite, très petite, vitesse. Puis le passage s'est rétréci pour devenir le détroit de Gibraltar. A notre grand regret sa traversée s'est faite en pleine nuit, notre captain préférant de toute évidence l'obscurité pour se glisser subrepticement d'une mer à l'autre. Aurions-nous, à part nos explosifs, quelque chose à cacher ?
Vers minuit le rocher de Gibraltar néanmoins perceptible faisait le gros dos sous la pleine lune, les guirlandes de lumière des villes du Maroc et de l'Espagne se faisaient de l'oeil, l'écran vert du radar montrait les traces dorées des très nombreux bateaux passant dans tous les sens.
Pendant ces quelques jours la méditerranée a pris toutes les nuances de sa riche palette, du gris ardoise des mauvais jours au bleu profond sous le soleil, un beau bleu qui n'appartient qu'à elle (et j'en ai vu, des beaux bleus dans l'eau, croyez-moi !).
Des joyeuses bandes de dauphins sont souvent venus nous escorter.

mercredi 11 mars 2009

LE VENT FROID DU DESERT

Voltaire, revenant d'un voyage en Hollande, disait qu'il n'y avait vu que "des canaux, des canards et des canailles". Pour ce qui me concerne (toute révérence gardée) passons discrètement sur les canailles, nous ne sommes pas encore rentrés à bon port, oublions les canards que l'on voit partout sous des formes diverses, restent les canaux, parlons donc des canaux.
Mon premier était vert, tropical, nocturne, chaud et humide. Mon second fut jaune, désertique, diurne, froid et sec. Oui, froid, seulement une vingtaine de degrés avec un vent coupant, une vraie misère ! Les gros chandails sont réapparus, le mien sentait fort la naphtaline papoue, j'avais eu une invasion de mites des Fidji qu'il m'avait fallu combattre énergiquement en mer de Chine.
Revenons à Suez et son canal : grand ruban bleu courant à l'origine à travers des étendues désertiques, c'est maintenant une voie d'eau qui longe d'immenses banlieues bâties de briques et de broc, encore séparées par des cultures maraichères et des villages avec ânes et chameaux, mais visiblement cela ne devrait pas durer. Sur le versant Sinaï beaucoup moins de constructions, juste du sable et des casernes, énormément de soldats en armes et de véhicules militaires.
Les cargos se suivent en convois, les croisements se font sur des voies séparées, on dirait que ceux d'en face roulent sur le sable plutôt que de voguer sur leur chenal. C'est assez frustrant de n'avoir aucune documentation historico-technique, tout le monde se promet de travailler le sujet au retour, autant en emportera sans doute le vent du désert...
Arrivée en soirée dans les bras de notre mère méditerrannée, aujourd'hui mâratre un peu grognon qui donne de belles moustaches d'écume au cargo quand il pique du nez dans les grosses vagues.
Il nous reste à faire le tour de l'Espagne, du Portugal et de la France avant de débarquer a Hambourg le 23 mars, au 128eme jour de ce long voyage.

jeudi 5 mars 2009

LA MER ROUGE ETAIT VERTE

Nous avons mis près de deux jours à parcourir le "couloir de sécurité" qui longe la côte sud du Yemen. Vitesse maximum pour tous les navires, extinction des feux la nuit et blackout complet des hublots, la doctrine actuelle consiste à essayer de se faire rapide et discret... Pour ce qui nous concerne nous avons été presque constamment escortés par un petit bateau de guerre, ce privilège étant peut-être dû à notre cargaison d'explosifs qu'il ne fallait pas laisser tomber entre n'importe quelles mains. Pendant ces deux jours plusieurs attaques de pirates ont eu lieu dans cette zone pourtant bien surveillée, mais immense. Deux d'entre elles ont réussi, les pirates réussissant à prendre pied a bord. Dès ce moment les forces navales se retirent, une priorité absolue étant donnée à la protection des personnes. Le petit commerce local semble donc encore prometteur, malgré les tentatives de dissuasion.
Nous sommes passés entre Aden et Djibouti (une pensée pour Nizan et Rimbaud) pour entrer dans le golfe de Suez qu'il nous faudra cinq jours pour remonter, nos vieux moteurs ayant repris leur train de sénateur après leur petit sprint. Les côtes sont trop lointaines pour que nous puissions les apercevoir mais nous avons pu voir dans le passage du détroit des îles de pur rocher doré. Sans un cocotier, pour changer.
Tout d'un coup l'écume s'est faite émeraude, l'eau qui nous entourait étant devenue de plus en plus verte du fait de particules fluorescentes très denses. Et la-dessus, cerises locales sur ce gâteau a la pistache, des milliers de grandes méduses blanches, colorées de vert ou de bleu selon leur profondeur.
Depuis que nous nous sommes rapprochés des côtes la mer s'est d'ailleurs bien peuplée. J'ai vu une grosse baleine et son jet d'eau, des bandes de cétacés divers faisant la course, et presque chaque jour des dauphins. Hier, dans la douceur du soir, il y en avait une centaine qui nous ont accompagnés un moment, ils faisaient les clowns en sautant très haut au-dessus de l'eau. Peut-être leur plaisir à nous voir est-il aussi grand que le nôtre à leur égard ?

lundi 2 mars 2009

PIRATES, LE RETOUR

Cette fois-ci c'est plus sérieux. On n'en parle pas dans les journaux parce que cela ne concerne pas grand monde directement, mais il semblerait que les pirates de Somalie aient mis la main, un peu par inadvertance, sur un business très lucratif, à faire pâlir de jalousie tous nos banquiers en mal de fabuleux bénéfices. Ils ont commence petit et par la force de leurs traditions séculaires, un bateau de pêche par-ci, un vieux cargo par-là. Et ils se sont aperçus que les compagnies mondiales ne rechignaient pas trop à payer des rançons car elles ont du mal à trouver et à garder leurs marins, et que leurs cargaisons ont parfois une forte valeur. Les prises devenant de plus en plus grosses, et les rançons itou, les somaliens ont pu s'équiper sérieusement et développer leur petite entreprise sur une plus grande échelle.
Ou en sommes-nous maintenant ? Les attaques se sont multipliées, sans trop de publicité, mais de manière assez conséquente pour qu'une force navale internationale soit présente, et bien visible, dans ces eaux. Mais la zone est vaste et le danger reste réel, au point que le plus grand transporteur maritime mondial a décidé de faire faire désormais à ses navires le tour de l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance malgré les importants surcoûts d'une telle mesure.
Pour ce qui nous concerne nous venons d'entamer la traversée de cette zone, cela durera deux jours. Le captain nous a réunis pour nous expliquer tout ce qu'il fallait faire ou ne pas faire au cas où. Il nous a également demande d'être discrets dans nos mails quant aux précautions prises, je ne vous en parlerai donc pas. Mais je peux néanmoins vous dire qu'il n'a pas mis de marin a fumer en permanence auprès des conteneurs d'explosifs, c'est déjà rassurant.

vendredi 27 février 2009

NERVOUSSE BRIQUEDOUNE ?

Nous n'avons pas vu terre depuis huit jours, et n'en verrons pas avant une semaine (péninsule arabique et mer rouge), qui donc avait dit que "Patience et longueur de temps font mieux que force ni que rage " ? De toute façon nous n'avons plus la force, et il vaut mieux éviter la rage, alors...
Prenons les plaisanteries, par exemple. Les plaisanteries à table, je veux dire, celles qui s'adressent à tout le monde puisque tout le monde est là. Au début c'est un peu surprenant d'entendre la même chaque jour à chaque repas, avec les mêmes gestes. On commence par avoir de la complicité, c'est toujours sympathique quand quelqu'un fait le clown pour mettre un peu d'ambiance. Et le comique de répétition est un genre qui a ses exigences. Ce qui n'empêche qu'on va de la compréhension aux réticences et de la révulsion à l'accablement. Mais la préservation de la survie sociale maintient ses impératifs, alors on essaie de s'abstraire ! Je comprends pourtant mieux la règle monastique du silence aux repas.
Lenteur : notre cargo est certainement le plus lent de la flotte mondiale, tous ceux que nous voyons ici ou là nous dépassent tranquillement. Plusieurs fois des tortues ont croisé notre route, comme elles n'allaient pas dans le même sens que nous la comparaison est difficile mais les paris peuvent s'ouvrir. En fait nous sommes en avance sur notre calendrier, aucune raison de brûler plus de mazout que nécessaire, nous ne ramenons pratiquement aucun fret, à part une dizaine de conteneurs d'explosifs que personne d'autre n'a sans doute voulu embarquer, le captain dit qu'il n'a jamais vu cela.
La mer est sale : partout du plastique flotte entre deux eaux, absolument partout.
Bon, allez, on se secoue au lieu de grogner ! Comme dit le proverbe uruburu : "Tu l'as voulu tu l'as eu !"...